S'ouvrir à de nouveaux horizons

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Ne laissez plus chez vous cette partie de vous-même qui constitue votre identité propre : faites du cinéma ! Epanouissez-vous dans un projet de film, développez vos compétences artistiques, aiguisez votre regard, venez à la rencontre de l'autre, développez votre esprit critique, améliorez votre maîtrise des outils du cinéma et de l'audiovisuel, et ouvrez-vous à l'international !

dimanche 28 avril 2024

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     Au béotien qui se sera endormi avant la fin de la première partie du film et sortira en disant sans doute : « Pfu, en 2013 sortir encore des films en noir et blanc aussi lents et silencieux… » nous pourrions dire…

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Ce film met en scène deux femmes que tout oppose et qui pourtant vivent sur le même palier et sont amies.

      Pilar incarne la Portugaise pratiquante infiniment bonne qui rend sans cesse service aux autres mais jamais à elle-même. Sa vie est morne à l’instar du temps maussade qui règne sur Lisbonne en hiver, et de l’immeuble qu’elle habite entouré de centaines d’autres semblables dont on a souvent un plan général. Pilar ne vit pas passionnément, elle n’éprouve ni amour, ni réelle conviction politique ou religieuse : c’est par pitié qu’elle accepte les toiles de son ami peintre qu’elle n’aime pas, c’est le souci de solidarité qui la fait participer froidement à une manifestation politique, c’est avec une certaine monotonie qu’elle récite mécaniquement ses prières.

tabou2 iphone     Aurora est son opposé : elle a tous les signes de quelqu’un qui a connu une grandeur passée et a vécu intensément, ce qui se laisse deviner à travers quelques signes d’un luxe d’autrefois : bijoux, lunettes de couturier, manteau de fourrure… elle joue tout ce qu’elle a au casino, et semble perdre l’esprit lorsqu’au cœur d’un mouvement circulaire, elle entame le récit de son rêve qui ne peut paraître qu’extraordinaire à la si simple Pilar et à nous mêmes spectateurs.

     Le noir et blanc permet de bien rendre le caractère morne de ces vies que sont celles de Pilar et de la vieille Aurora dans le Lisbonne d’aujourd’hui dont le ciel gris est comme chape de plomb sur les rêves. Cette première partie s’intitule « Paradis perdu » en harmonie avec le registre élégiaque que nous fait ressentir le réalisateur. Paradis perdu pour Pilar qui semble être un ange malencontreusement déchu du Paradis sur Terre, et paradis perdu pour Aurora qui semble avoir perdu son bonheur passé dont elle semble hantée.

La seconde partie s’intitule « Paradis » et c’est là que Miguel Gomes devient véritablement virtuose.
     Il s’agit d’un superbe flash back, commenté par la voix off d’un vieil homme qui dévoile à Pilar le secret qu’il partage avec Aurora et qui prend sa source, près du mont Tabou, au Mozambique, ancienne colonie portugaise en Afrique. Cette fois le noir et blanc devient celui d’un film muet comme le Tabou de Murnau (1931) auquel Miguel Gomes rend très certainement hommage. L’originalité réside dans le fait que les dialogues demeurent inaudibles tandis que les bruitages naturels sont rendus perceptibles ainsi que la musique de l’orchestre dont il est question.

1801848_7_c99b_extrait-de-tabou-de-miguel-gomes_8f9543f6bd5503c66332564f3cb868271 iphone Ce travail de mémoire est donc représenté comme un vieux film d’autrefois.
     Il fait écho au prologue qui évoque la solitude et la mélancolie d’un colon qui vient de perdre la femme aimée, et dont on comprend par la suite qu’il s’agit du père d’Aurora. Ce prologue s’appuie sur des images dignes de celles d’un documentaire animalier ou d’un documentaire d’époque sur l’Afrique comme on peut en trouver dans les archives. Ainsi, Miguel Gomes lie habilement le travail de mémoire sur soi, à la mémoire du cinéma mais aussi à la mémoire de notre grande Histoire. Car en effet, combien d’enfants de colons sont ainsi nés, sans l’avoir choisi, dans ce qu’ils appellent encore communément le « Paradis », et ont subi les bouleversements de l’Histoire, obligés de tout laisser derrière eux, leurs biens, leurs racines, leurs souvenirs ? Combien d’entre eux se sont retrouvés comme Aurora dans l’une des petites boîtes de ces nombreux immeubles, isolés et rejetés par les continentaux, avec l’affreuse sensation de vivre morts ? Aurora le dit dans l’une de ses lettres : la femme qui arrive sur Lisbonne n’est plus l’Aurora d’autrefois, celle-ci est bien morte. L’Aurora de l’instant d’énonciation à Lisbonne, se soumet à l’intense religiosité locale, décide de renoncer à son amour coupable, et donc au crocodile, terrifiée qu’elle est par le jugement dernier. Qu’en est-il de sa fille que le secret, le tabou, n’a pu qu’éloigner de sa mère et faire souffrir également ?

tabou_pix1 iphone Belle métaphore que celle du crocodile, filée tout au long du film, suggérant un destin funeste latent et maintenant continue l’intensité dramatique. Ses crocs évoquent l’appétit et l’instinct sauvage auxquels peuvent céder les personnages du passé, livrés ainsi à eux-mêmes au cœur de l’Afrique. Le crocodile est aussi le mauvais présage qui sert de prétexte dangereux aux deux jeunes amants pour se dévoiler l’un à l’autre.

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La musique est magnifique.
Composée par Joana Sa’ pour le film, ces Variações pindéricas sobre a insensatez, sont envoutantes, légères, comme la rêverie bienheureuse d’un passé révolu dans l’esprit devenu fou… mais avez-vous reconnu de quel film ce thème a été repris ? Un film muet, colorisé, datant de 1918, Le Quadruple meurtre de John dont le réalisateur est demeuré inconnu, et présentant pour principal effet l’arrêt de caméra. Aucun critique ne l’a encore reconnu semble-t-il…

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Commentaires (1)

  • Effectivement il ne fallait pas craquer avant la 2ème partie qui met tout le film en valeur. Probablement le meilleur film de cette sélection Télérama 2013.

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